L'Express du 25/12/2003
Justice
Un arsenal contre les pirates
par Gilbert Charles
La justice sévit contre la copie illégale de musique et d'images sur le Web. Et le gouvernement prépare une série de mesures
Les parents qui envisagent d'offrir pour Noël un graveur de CD ou une connexion Internet haut débit à leur progéniture devraient peut-être y réfléchir à deux fois: les éditeurs de disques ont décidé de déclarer la guerre aux centaines de milliers d'internautes qui téléchargent gratuitement de la musique sur le réseau. Le tribunal correctionnel de Versailles vient de condamner deux étudiants respectivement à 19 000 et 13 500 euros de dommages et intérêts et deux mois de prison avec sursis pour avoir réalisé des copies de 72 CD de musique, de 392 films et 111 jeux vidéo récupérés sur la Toile.
«Deux ans de prison et 150 000 euros d'amende»
«Il n'y a aucune différence entre voler un disque dans un magasin et télécharger de la musique sur Internet», estime la Société civile des producteurs de phonogrammes en France (SPPF) dans un communiqué vengeur. Cette offensive suit celle lancée en septembre aux Etats-Unis par la puissante Association des maisons de disques américaines (RIAA) qui a déposé 261 plaintes contre des internautes, désormais menacés d'amendes astronomiques par la justice - jusqu'à 150 000 dollars par titre diffusé illégalement. Les professionnels de l'édition musicale sont plus que jamais déterminés à mettre fin à l'activité des sites de partage de fichiers appelés peer to peer (P2P), d'égal à égal, qui permettent d'échanger de la musique, des films ou des logiciels sur le réseau, et qui seraient responsables, selon eux, de la chute de leur marché: les ventes de disques ont reculé de 13% en France durant les neuf premiers mois de l'année 2003.
130 millions de fichiers illégaux circulent chaque jour sur le Web.
Le P2P représente aujourd'hui près de la moitié du trafic Internet, où 130 millions de fichiers illégaux circulent chaque jour, par l'intermédiaire de programmes comme Kazaa, eDonkey, Gnutella ou Morpheus, qu'il suffit de graver sur CD une fois téléchargés sur ordinateur.
Quelque 200 millions de disques vierges ont été vendus en France en 2002, contre 165 millions d'albums enregistrés... Les producteurs ont cru trouver la parade en verrouillant leurs disques avec des dispositifs anticopie, mais ceux-ci se révèlent inefficaces - d'ingénieux hackers parviennent à les débloquer - ou posent des problèmes de compatibilité - il devient impossible, par exemple, de les lire sur les autoradios. Les pirates en herbe ont d'autant plus de raisons de s'inquiéter que le gouvernement prépare une loi sur «l'économie numérique» qui doit être examinée en seconde lecture en janvier 2004 et prévoit d'obliger les fournisseurs d'accès de bloquer les fichiers illicites et de transmettre à la justice les coordonnées des internautes contrevenants. Le ministère de la Culture prépare quant à lui un autre texte pour le premier semestre 2004, assimilant le déblocage des dispositifs anticopie à de la contrefaçon et allant jusqu'à punir les bricoleurs de deux ans de prison et 150 000 euros d'amende. Ce durcissement législatif pourrait menacer le développement d'Internet et pose un épineux problème d'équilibre entre liberté du commerce, protection de la vie privée et respect du droit des consommateurs...
source:
http://www.lexpress.fr/express/